saint Wennolé , extrait du cartulaire de Landevenec


Il y avoit, en ce Monastère, un bon Père, homme vertueux et de grande Sainteté, nommé Wennolé, lequel, admirant la vertu de saint Ethbin, le prît particulièrement en affection. Ce bon Père alloit souvent, par obédience de son Abbé, dire la Messe à une dévote Eglise de Nostre Dame, distante du Monastère d'une bonne demi-lieuë, et, pour compagnon, prenoit le plus souvent saint Ethbin : Un jour, comme ils s'en retournoient de cette Eglise, ils trouvèrent, dans un champ par lequel ils passoient, un pauvre homme, tout défiguré de lèpre, lequel estoit extrêmement travaillé et se plaignoit fort piteusement; les Saints, émeus de compassion d'un si triste objet, s'approchèrent de luy et luy demandèrent en quoy ils le pourroient soulager? « Helas mes bons Pères, » si quelqu'un me voudroit curer les narrines, qui sont étoupées et m'empeschent la respiration, me soûlageroit extrêmement; car je suis suffoqué, si on n'y remédie  promptement. » Saint Ethbin, entendant cela, s'offrit à luy faire ce service, comme aussi le Père Wennolé ; il posa donc à terre le Missel et le Calice qu'il portoit, et prenant ce pauvre ladre à travers le corps, le leva sur bout, et le Père Wennolé commença à luy curer le nez de sa main. 
Le Pauvre s'écria : « mon Père, je vous prie de cesser, car vous' me causez une douleur insuportable ; mais, si vous voulez me soulager, appliquez vostre bouche à mon nez et succez le puz et les ordures qui me suffoquent. » Le Père le fit, sans avoir horreur de telle saleté ; mais, comme il croyoit avoir attiré la sanie de ce pauvre corps, il trouva avoir en la bouche une belle perle de très rare couleur, et, en mesme temps, 
saint Ethbin, qui tenoit ce pauvre par le milieu du corps, vid le Ciel ouvert par dessus luy une nuée éclatante, dans laquelle il y avoit une belle Croix, qui vint se reposer sur la teste de ce lépreux. Saint Ethbin, voyant cette merveille, s'écria : « mon Père, nous tenons nôtre doux Sauveur Jésus-Christ, que jusqu'à présent nous croyons estre un pauvre ; » et, ce disant, se jetteront tous deux à ses pieds ; mais, il s'éleva d'eux en la nuée, d'où il leur dît : Vous n'avez pas eu honte de m'assister en ma nécessité, et moy je n'auray pas honte de vous en mon Royaume où je vous réserve votre héritage et à ceux-là pour qui vous me prierez. Ayant dit cela, il monta au Ciel, conduit d'une admirable mélodie, qu'ils oûirent, sans voir aucunement ces divins Chantres. Ils poursuivirent le reste du chemin, s'entretenans de cette singulière faveur que Dieu leur avoit faite, et se leva entr'eux une pieuse contestation; car Wennolé attribuoit cette faveur à la Sainteté de saint Ethbin, et celuy-cy aux mérites de Wennolé : ils s'accordèrent, toutefoys, en ce point, que ny l'un ny l'autre ne manifesteroient cette faveur à personne, pour éviter la vaine gloire.